Texte publié dans les Annales de phénoménologie 2016,  numéro 15, pp. 133 à 139.

A la suite de notre contribution parue dans le numéro 14 des Annales de phénoménologie en 2015, intitulée « De la cont(r)actibilité – Exercices d’agilité phénoménologique », plusieurs questions nous ont été posées par Marc Richir et Alexander Schnell, et force est de constater qu’elles restent pendantes et méritent effectivement d’être traitées plus avant. C’est à ces difficultés qu’est consacrée cette étude afin d’éclairer les problématiques envisagées précédemment avec le plus de rigueur possible.

Voici les questions soulevées. Qu’est-ce qu’une diastole affective sans schématisme ? Est-elle virtuelle ? Et, qu’est-ce qu’une systole schématique, alors que, par son hyperdensité, elle ne peut qu’inter-rompre le schématisme ? Est-elle aussi virtuelle ? Richir à quant à lui parlé de micro-systole. Mais également, que veut dire ‘battre’ ? De quoi, en quoi, y a-t-il pulsion ? Pulsatilité ? Versatilité ? C’est quoi au juste cet espace-temps non spatial, non temporel où il est par exemple question de ‘surfaces distordues’ ? Où nous amène concrètement une réflexion sur un ‘matériau sans matière, une immatérialité leiblich’ ?

Tout d’abord et avant tout, nous tenons à remercier très vivement Marc Richir et Alexander Schnell pour leurs questions, redoutables à bien des égards, que nous avons reproduites ci-dessus.

De manière la plus générale, nous voudrions dans un premier temps faire quelques remarques de type méthodologique. Il faut savoir que nous nous rendons bien compte que nous travaillons sur des problématiques fort complexes et que nous n’essayons aucunement de trouver quelques failles ou manquements, par exemple à l’architectonique phénoménologique richirenne. Mais, nous tentons de nous interroger en ‘bon’ phénoménologue, ce qui nous amène à poser un certain nombre de questions et pour cela à essayer de bien comprendre, en faisant, nous le concédons, bouger un peu les notions. Et ceci afin, bien évidemment, d’atteindre un plus grand niveau de compréhensibilité, et pourquoi pas, chemin faisant, de nous risquer à quelques infidélités qui ne sont, somme toute et après tout, que des tentatives de faire de la philosophie avec le plus de justesse et de rigueur possibles. Il est bien entendu que tout ceci reste programmatique et que nous nous attelons à en déployer toute l’ampleur. Du travail donc pour bien longtemps, à n’en pas douter !

Le plus difficile est probablement de se défaire tant que faire se peut des paramètres philosophiques qui persistent et empêchent le plus souvent de dire quelque chose de la Sache qui ici est toujours à dire. Nous voulons parler de ces oppositions que sont, et entre autres, pour l’espace, l’interne et l’externe, l’intérieur et l’extérieur, le dedans et le dehors, le devant et l’arrière le centre et la périphérie, le point et la ligne ; et pour le temps, l’instant et l’éternité, le passé et le futur, l’avant et l’après, l’antérieur et le postérieur. Fort de cela, nous nous interrogeons sur la contamination à l’œuvre de ces notions les unes par rapport aux autres, et surtout sur le changement de statut qu’elles manifestent lors d’un exercice phénoménologique. Fort de cela aussi, voici donc quelques éléments ou ébauches de réponses aux questions posées.

Les premières questions concernent l’articulation architectonique de l’affectivité (systole affective), du schématisme (diastole schématique) et de la transcendance absolue. Ce que nous entendons par diastole affective doit être compris au cœur de la dynamique même de la systole affective ou sublime qui, non seulement hyper-densification tout en contraction et en implosion, est redevable à une hyper-dilatation corrélative de l’excès de l’affectivité sur elle-même, excès hyperbolique, ascension vers l’immense, et à ce titre qui creuse un écart non spatial et non temporel entre l’affectivité et la transcendance absolue. Une diastole qui est en quelque sorte proto-schématique semble à l’œuvre. La systole, bien qu’étant extra-schématique et inter-rompant le schématisme, en arrive à garder quelque chose de ce schématisme qu’elle inter-rompt, en ouvrant à la possibilité de la schématisation, comme un cran en avance sur le schématisme, mais déjà ancrée à même le mouvement d’hyper-densification/dilatation (avec retombée sur soi et déclinaison en décalée en transcendance radicale physico-cosmique) de l’affectivité au moment du sublime lorsque celui-ci ouvre l’affectivité à une transcendance absolue extra-schématique en fuite infinie et que cette affectivité la découvre impossible à refermer, à clore, à arraisonner.

Ce qui veut dire que la contraction systolique est d’une certaine manière prise elle-même dans une diastole – que l’on pourrait qualifier de diastole sublime tout aussi bien – affective. Ce que pointe du reste l’hypsos, l’hybris, l’élation de l’excès quasi-antérieure à la contraction systolique. Ce sans quoi il n’y aurait pas ressaut, réflexivité de l’excès, retour sur soi implosant, soi qui justement garde en son cœur la trace de la transcendance absolue comme fuite infinie immaîtrisable.

Cette diastole affective l’est donc de la systole affective, ce qui n’équivaut pas à la diastole schématique, même si elle y est liée par une sorte de réversibilité systo-diastolique qui ne revient pas au même. La diastole affective est donc pré- ou proto-schématique. Peut-être devrions-nous parler plus justement de corrélation diastolico-systolique de premier degré pour l’affectivité – où la diastole est virtuelle, pas encore schématique, mais déjà pro-active et en amorce – et d’une coalescence systo-diastolique de second degré pour le schématisme – où la systole, également virtuelle, n’est encore affective qu’à l’aune post-active par l’infigurabilité des phantasiai-affections qui prennent sens depuis la rémanence, comme trace de l’excès, de la systole justement propre au sublime ici dans la diastole ? Le noyau hyper-dense de l’affectivité en écart comme rien d’espace et de temps est emporté dans la diastole.

Tout ceci avec toutes les précautions d’usage lorsqu’on parle de degré, d’antécédence ou de postériorité. De telles sortes que la diastole affective est proto-schématique – archi-schématique virtuelle – dans la constitution du soi, et la systole schématique est post-affective – posthumo-affective virtuelle – dans la schématisation. Ce qui permet de mieux comprendre la différence mais également l’étroite collaboration intrinsèque en coalescence entre le soi au sublime, celui qui est constitué en soi archaïque, et le soi emporté dans la diastole, celui qui fait du sens en tentant de dire autre chose que lui-même par le schématisme hors langage. Ainsi, la systole schématique l’est de la diastole schématique. Ce qui veut dire que cette systole n’inter-rompt pas le schématisme mais le réamorce dans la dynamique même de la diastole schématique en y opérant comme micro-systole, dont parle du reste Richir.

Tout le problème est d’arriver à penser phénoménologiquement une systole et une diastole. Ce qui n’est de toute évidence pas facile. Car si systole marque une contraction, une densification, un reploiement, et diastole une décontraction, une détente, un relâchement, il est nécessaire d’en penser la dynamique ‘spatiale et temporelle’ à l’occasion d’un type très singulier de motilité qui affecte une masse rythmique qui, si nous voulons approcher la mobilité phénoménologiquement, s’avère non spatiale et non temporelle mais néanmoins et pourtant en mouvement.

Les questions sont en quelque sorte et autrement dit celles-ci : la systole est-elle exclusivement affective et a-schématique ? La diastole est-elle exclusivement schématique et non-affective ? Il faut donc penser plus précisément la diastole (affective) propre à la systole qui reste affective en inter-rompant le schématisme mais empreinte et emporte virtuellement la trace de ce schématisme en sa dynamique systolique. De même, la systole (schématique) propre à la diastole qui reste schématique mais garde virtuellement la trace de cette affectivité en sa dynamique schématique.

Les secondes questions portent sur la signification de cette masse rythmique ou de ce rythme volumique singulier baptisé ogkorythme dans nos travaux, donc comme espace-temps non spatial et non temporel, sans matière, néanmoins en mouvement tout en battement, pulsion, pulsatilité et versatilité ; bref, mouvement en cont(r)actibilité compris comme immatérialité cependant leiblich. C’est toujours la problématique de la mobilité phénoménologique et celle du saut dans la Sache. La cont(r)actibilité l’est du phénomène comme rien que phénomène chez Richir. C’est la modulation de la masse rythmique spécifique du phénomène réduit à son intrinsèque rien phénoménologique, résultat conjugué, par le saut en la Sache indéterminée, de l’épochè phénoménologique hyperbolique et de la réduction architectonique. Ce rien l’est d’espace et de temps, et même en et par écart comme rien d’espace et de temps. On peut dire que le contact du phénomène avec lui-même est un contact en et par écart comme rien d’espace et de temps.

L’ogkorythme est né de cette considération prise comme paradigmatique de toutes les notions, pôles, niveaux, résidus, sites ou topoï  architectoniques. Cette immatérialité, cette concrétion immatérielle, est pourtant en mouvement, en mouvement sans corps mobile ni trajectoire. Qu’il s’agisse, et entre autres, pour les notions, de l’exaiphnès comme revirement instantané, de double mouvement de la phénoménalisation ou, entre autres, de la distorsion originaire du phénomène. Pour les pôles architectoniques de même. L’affectivité et le schématisme sont ogkorythmiques puisqu’ils sont pulsés l’un comme l’autre par des battements ou pulsations de masse non spatiale et non temporelle mais pourtant et néanmoins en mouvement susceptible pour l’affectivité de se contracter/décontracter au sublime et pour le schématisme de se mouvoir en sens en se décontractant/contractant, le deux sous la transcendance absolue extra-schématique en fuite infinie comme pôle permettant de garantir à l’ogkorythme ainsi ployé/déployé l’impossibilité de lui donner des paramètres que ces derniers soient eidétiques, ontologiques, théologiques, matériels, corporels, spirituels ou autres du reste.

L’ogkorythme, comme accrétion incorporelle et immatérielle, ne l’est donc pas de quelque chose, ni en quelque chose, ni en quoi que ce soit, comme du reste le phénomène chez Richir. De telle sorte qu’on peut dire d’un certaine façon de l’ogkorythme qu’il est l’ossature rythmique non spatiale et non temporelle du phénomène Mais, la conséquence de cette sorte d’immatière pulsatile illocalisable et sans temps est que, par là, de la Leiblichkeit est possible foncièrement, car cette masse rythmique sans masse ni rythme autre que aspatiale et atemporelle est véritablement la condition transcendantale de possibilité de garder la corporéité vivante, mobile, Sache, et non, résultat de la précipitation somme toute spatio-temporelle, par exemple par transposition architectonique chez Richir, de l’ogkorythme en corps, Körper, voire cadavre inerte, ou en fixation idéale, imaginaire ou encore, et entre autres, théologique.

Cela mène effectivement à la réflexion de ce que la phénoménologie a affaire à un matériau sans matière, nouvel objet singulier de ses recherches qui ne laissent pas, à ce titre, non plus les méditations théologiques et métaphysiques hors du champ phénoménologique. Ainsi, nous parlons d’une nano-métaphysique phénoménologique fondamentale – et de contre-mesure nano-métaphysique – lorsqu’il s’agit de traiter les questions les plus fondamentales comme le monde (nature, phusis et cosmos), l’homme (soi et sens) et dieu, dans une nouvelle métaphysique (mutatis mutandis metaphysica specialis), où ces interrogations deviennent transcendances absolue, radicale physico-cosmique et non adhérence (non coïncidence à soi) humaine, dont l’ogkorythme constitue le noyau (mutatis mutandis metaphysica generalis) comme marque d’une intelligibilité renouvelée des problématiques foncièrement phénoménologiques.

Qui plus est et par là, l’ogkorythme refonde à sa manière propre une esthétique transcendantale, une aesthetica generalis, qui saute par-dessus l’analytique pour phagocyter la dialectique au cœur de sa dynamique esthétique relevant à la fois, par une autre version du jugement esthétique réfléchissant sans concept, du beau et du sublime mais également des trois axes kantiens de la dialectique. Aussi, la contre-épochè post-hyperbolique permet de garder et de garantir le maintien de la dynamique ogkorythmique lorsque l’on ‘revient’ de la réduction, fût-elle architectonique comme chez Richir, afin de ‘construire’ la phénoménologie.

On peut en tirer que l’ogkorythme est un principe premier, ‘primultime’, ou un élément fondamental d’une philosophie première mais qui ne ressemble à rien qui se stabiliserait pour autant autour d’une entité de type ontologique, divin, voire transcendantal – si tant est que le transcendantal puisse justement se précipiter comme au sens chimique du terme ? Nous parlons à cet égard, et donc pour l’ogkorythme, même si c’est encore insuffisant dans l’expression, de moteur (motricité matricielle mobile) de la phénoménologie. Il n’est donc ni naturel ni intellectuel, ni corporel ni spirituel, ni eidétique ni idéal, ni imaginaire ni divin, ni ontologique ni théologique, mais il nous semble permettre une lecture neuve des dites négations considérées d’une certaine manière comme des ‘dégradations’, déclinaisons processives, ou plus précisément des fragments stabilisés ‘expulsés’ de cette masse rythmique ‘originaire’. Originaire ne voulant pas dire qu’il précède ni qu’il fonde mais qu’en vertu de sa définition, l’ogkorythme est, comme motrice-moteur-matrice, allumé et tourne ‘à la fois’ avant, pendant et après la constitution/construction des niveaux susmentionnés.

Le sens se faisant, le sens se schématisant au fil de son aventure est un exemple insigne de ce qui le pousse, le pulse et le rend vivant : c’est en son creux foncier une masse rythmique forcément non spatiale – sinon on pourrait situer le sens en un lieu – et non temporelle – sinon on pourrait également fixer un instant, un moment, un maintenant du sens. Situation et fixation, détermination et position qui empêcheraient la vie même du sens parti à la recherche de ce qu’il veut dire.

L’ogkorythme est donc au schématisme ce qui le fait vivre mais n’est pas tout le schématisme car ce dernier répond également à du hors langage et du langage, à des phantasiai-affections pures et perceptives. Par différence, l’affectivité, absolu dedans du soi archaïque, est ogkorythmique par son nœud matriciel a-spatial et a-temporel en systole, par hyper-densification, et en diastole, dans l’excès hyperbolique de l’ascension vers l’immense – excroissance en intensité d’affectivité – dans ce qui n’est pas ‘encore’ du schématique puisqu’il l’interrompt.

Même raisonnement pour la transcendance absolue, pur dehors, qui dans sa non humanité et son inconnaissabilité, son inaccessibilité et son abyssalité, son indicibilité et sa virtualité, sa non positionnalité et sa transitionnalité, son infigurabilité et son imprépensabilité, bouge, se déploie/reploie selon une ouverture infinie qui ne se clôt pas parce que n’ayant pas été fermée ou refermée ‘auparavant’. La fuite infinie extra-schématique de cette transcendance est ogkorythmique et tout en diastole. Cette transcendance ne peut d’ailleurs exercer ses effets de non adhérence qu’en raison de son ogkorythmie foncière qui noue absolu dedans et absolu dehors dans l’aventure du sens, selon une surface distordue entre le radical dedans et le radical dehors qui les fait s’entremêler sans solution de continuité. La surface n’a pas d’aire, ni recto ni verso, ni épaisseur, et la distorsion n’est pas repérable autrement que par son mouvement impossible mais bel et bien mobile, cont(r)actibilisant ogkorythmique (contraction qui met en contact et contact qui (se) contracte). Tout simplement, le soi emporté dans la diastole schématique ne fait du sens, au fur et à mesure, qu’en se moulant à cette motilité qui respire le volume en distorsion, plus justement dit que surface distordue, en cela volume pulsé sans temps ni espace ou pulsatilité de masse non spatio-temporelle.

L’ogkorythme n’est donc pas quelque chose ni en quelque chose sinon de la manière qui augure une nouvelle approche de ce qu’un élément peut être ou faire, participer ou animer les problèmes de la phénoménologie. L’ogkorythme, comme la pensée selon Husserl ou Richir, n’est pas quelque part, pas davantage dans notre tête que dans celle des autres ou en un autre lieu fût-il idéal ou de quelque nature que ce soit, pas plus dans ou sur la nature, autre part ou à un autre moment. A ce titre, l’ogkorythme est phantastique selon l’acception richirienne : insaisissable, infigurable, transitionnelle et virtuelle. Et pourtant, c’est notre effort de pensée, si une nature phantastique tisse l’ogkorythme, ce dernier n’est pas, à strictement parler, phantasia(i) pure(s) ou perceptive(s). Dire qu’elle ou il est proto-phantastique n’est pas ‘tout juste’ mais faute de mieux dit quelque chose de ce dont il s’agit. Surtout si ce proto-phantastique opère dans la construction d’une phénoménologie par le phénoménologue. La phénoménologisation ne peut elle-même que se mouvoir d’une motilité ogkorythmique, garante esthétique de ses inventions, de sa fécondité et de sa beauté, et de son avenir toujours possible car à jamais ouvert sur l’impossibilité d’en finir.

Il n’y a donc rien de plus concret que l’ogkorythme puisqu’agissant – à sa manière – à tous les registres phénoménologiques, de l’affectivité (soi archaïque) aux schématismes (sens en amorce), ce y compris, au ‘bout’ du chôrismos, lorsqu’il s’agit de penser le résidu phénoménologique de dieu dans une transcendance absolue extra-schématique en fuite infinie.

Peut-être que parler d’ogkorythme permet aussi de ne plus mettre trop fortement l’accent ni sur l’apparaître du phénomène, fût-il aussi disparaître, par trop souvent individué, ni sur le logos de la phénoménologie, qui dirait tout de go ce que serait le phénomène, pour s’enraciner également dans une dimension plus concrète, plus proche de la Sache, ainsi ‘plus loin’ que le phénomène et le logos proprement dit. L’illocalisation de l’ogkorythme est probablement cosmique et énigmatique, en tant que concrétion immatérielle et incorporelle, parce qu’au croisement chiasmatique du vrai soi et du vrai monde qui ne sont ni l’un ni l’autre quelque part ni en un temps quelconque.

La ‘vie’ de l’éternité, d’un ‘autre monde’ plus fort que celui qui nous accable et dont nous mourrons et mourons, est très probablement le prix de cette tentative, pour peu que nous soyons sensibles à cette mobilité tout en cont(r)actibilité, mais sans corps mobile, de l’architectonique phénoménologique.