De la Conciliation Ethique

Postface de Robert Alexander

Docteur en philosophie

 

De la théorie à la pratique de la conciliation éthique

Il peut paraître étonnant que les idées les plus simples soient presque toujours les plus difficiles à comprendre, et surtout, à mettre en œuvre. Pourquoi ? Et de se demander alors, légitimement du reste, pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ! En effet, pourquoi ne pas avoir songé à créer plus tôt un service comme celui de la Conciliation Ethique ? Pourquoi ne pas avoir pensé à mettre en place dans nos villes et communes, dans nos services publics et nos entreprises, dans nos écoles et nos administrations, un service citoyen au service des citoyens ? C’est quasi incroyable car, force est de le constater, cela fonctionne !

Depuis sa création, en 2011, l’ASBL Conciliation Ethique, parvient à résoudre dans 80% des cas les conflits auxquels sont confrontés lesdits citoyens (particuliers, indépendants, entreprises, associations, services publics etc.) : voisinage, habitation, logement, recouvrement de créances, etc. Avec la particularité que les citoyens qui arrivent à ce résultat, devenus conciliateurs éthiques, ont été recrutés et formés par l’ASBL, avec son école elle-même citoyenne, qui donne les outils nécessaires pour solutionner de manière constructive les problèmes liés aux conflits en tous genres, civils ou, par exemple, commerciaux. Ce qui n’exclut évidemment pas d’agir en parfaite intelligence avec les constatateurs, les médiateurs communaux, les zones de police, les services communaux, les élus, bref avec tous ceux dont le souhait est d’aider les citoyens à trouver des solutions justes et acceptables, toujours dans le respect des lois.

L’ASBL est intervenue de cette manière 1.453 fois depuis 2011 dans plusieurs communes de la Wallonie. Un site internet est ouvert depuis 2016 où vous pouvez trouver toutes les informations utiles : www.conciliationethique.be. L’ouvrage que vous venez de lire décline les fondements théoriques de cette méthode.

Il existe donc une façon simple, économique et utile, vraiment citoyenne, qui empêche que les conflits dégénèrent, s’enveniment et deviennent longs, très ou trop longs, et coûteux, tellement coûteux, pour les personnes et pour la société.

Les conciliateurs éthiques interviennent sur place, rapidement, ils travaillent en toute indépendance, en cela véritable tiers désintéressé, et en tout temps peuvent compter sur une équipe et des relais dans les différents domaines de compétences.

En résumé, les conflits contiennent en eux-mêmes leur propre dynamique de résolution. Nous le savons tous très bien, mais peut-être nous le cachons-nous à nous-mêmes, habitués que nous sommes à recourir, vite, trop vite, aux procès et procédures !

En outre, que cette méthode puise ses ressources intellectuelles dans la philosophie n’est pas surprenant car Marcel Paquet et Michel Parmentier ont tous deux pensé et senti qu’il était temps pour ladite philosophie – tellement souvent restée idéaliste ou en retrait du monde – de devenir concrète, utile, accessible à tous et facilement ; bref, de devenir citoyenne, ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être depuis Socrate. Très probablement s’agit-il d’un tournant dans l’histoire même de la pensée. Tournant qu’incarne aujourd’hui, également, dans la philosophie pratique, la consultation philosophique qui œuvre à créer pour la vie, l’existence et le sens, la liberté de chacun, un espace pour se déployer sans nécessairement avoir recours aux médications biologiques ou thérapies psychologiques. Car, là aussi, tout peut aller plus vite et plus profondément sans encore une fois, et tout à la fois, coûter cher et faire mal et pour longtemps, comme le disait Lacan de la cure psychanalytique.

La conciliation éthique ne fait en quelque sorte que rendre aux citoyens leur propre capacité de se gérer et de résoudre par eux-mêmes les difficultés qui inévitablement se posent dans la vie. N’est-ce pas là philosophie bien comprise et non celle des professeurs, des penseurs en chambre ou de certains rats de bibliothèques ?

Mais, il ne faut pas se méprendre. Toujours seront nécessaires les processus juridiques et thérapeutiques mais, la conciliation éthique le prouve rien qu’à elle seule, ils ne doivent l’être qu’après que toutes les autres tentatives de résoudre le conflit ou le mal-être ont été pratiquées. Oui, l’idée est simple. Est-ce seulement pour cette raison qu’elle n’est pas bien comprise ou appliquée ? N’y a-t-il pas fort à parier que les circuits économiques qui ont été produits à dessein pour capter le conflit nécessitent d’être alimentés ? Que par là, ils sont actionnés, il faut bien le dire, prématurément et trop souvent sans avoir tenté ce qu’ils ont eux-mêmes, par ailleurs, mis sur le marché, comme pour en bénéficier encore et, encore une fois, capturer le conflit : la médiation et l’arbitrage.

L’humain n’a pas à rougir du fait que le conflit soit premier, – ou que nous ne soyons pas nécessairement malades parce que nous sommes en burn-out –, il ne fait que montrer que la tension est productrice de sa propre détente. Mais, cela ne signifie pas que le conflit ou le malaise en question soit l’objet unilatéral d’une suite, à vrai dire infernales, de structures qui dépossèdent littéralement de la liberté qu’ont les citoyens eux-mêmes d’inventer une solution par eux-mêmes, avec l’aide d’autres qui savent mieux que quiconque que la voie d’une entente et d’un apaisement est proche, si proche. Est-ce la vraie proximité tant prônée et peu souvent pratiquée ? Il suffit – mais tout est là – de dialoguer et d’écouter ‘vraiment’, d’entendre et de prendre le temps nécessaire, le temps enfin citoyen, afin de prendre les dispositions utiles d’une conciliation qui coule alors de source, réellement humaine, sociale, et donc éthique car juste mais sans juge ni jugement autre que celui des acteurs eux-mêmes pour eux-mêmes.

C’est d’une manière en définitive simple de vivre en société dont il est question avec la conciliation éthique, cette manière de faire la vie que nous ne parvenons pas, justement, à vivre parce que nous sommes soumis, force est de le constater, aux diktats des appareils juridiques, souvent institutionnalisés, qui font de nos conflits leurs choux gras. Surtout, en ne laissant pas, et ce n’est pas une chance mais une nécessité, les citoyens sur les pistes visant à ouvrir, par leur propre problème, les voies de solutions qu’ils construisent alors eux-mêmes. Certes, c’est toute la dynamique positive et constructive de la conciliation éthique, non avec l’aide mais le regard averti des conciliateurs qui ont compris, par leur formation réellement citoyenne, que les accès aux résolutions des conflits se trouvaient en chacun et non pas, nécessairement, dans les méandres convulsifs et déshumanisants des couloirs des palais de justice, justice elle-même exsangue et dénaturée, essoufflée et ne sachant plus comment être, le mot est lâché, rentable faute d’être encore efficace.

La réelle rentabilité, le vrai solde net positif, provient de la grande santé, l’expression est de Nietzsche, des citoyens, de nous tous tout simplement, lorsque confrontés à notre condition, parce que conflictuelle, nous arrivons à créer notre vie et que, ne le devant qu’à notre propre force, nous inventons nous-mêmes les solutions à nos problèmes. Là est le vrai sens du social et de la citoyenneté, à n’en pas douter l’ultime sens du politique lorsqu’il est pensé et vécu par les citoyens pour les citoyens, et non pas aux bénéfices de certains d’entre eux animés par un esprit de lucre et de domination personnelle bien éloignés de ce que l’humain ne peut pas, c’est une exigence, ne pas être.

Philosophie, politique, éthique se donnent ainsi rendez-vous dans la Conciliation Ethique. Et ce n’est pas peu dire car elle mise sur la valeur du sens de nos vies, de la vie en société et de la socialisation qu’elle procure, en préservant de l’isolement et de l’appauvrissement qu’elle contrecarre de toutes ses forces. Si ce n’est là philosophie, politique et éthique bien pensées, ce n’est rien. Il n’est donc pas utile de se référer aux philosophes ou de citer les philosophies qui seraient à même de renforcer les fondements de la conciliation éthique, même si elles ne manquent pas à l’appel et ce dans toute l’histoire de la philosophie. Non, c’est de l’exercice pratique de la vie, de la vie sociale, dont il est question, et cela n’est pas un courant déterminé, un philosophe singulier ou une philosophie particulière, c’est bien plutôt la question de la philosophie elle-même, de son sens à elle, de ses ambitions et enjeux les plus fondamentaux dont il s’agit avec la conciliation éthique.

Le même raisonnement vaut pour le politique au sens de la gestion de la vie de la cité tout entière, toujours il doit être en mesure d’assurer aux citoyens leur liberté et leur dignité. La conciliation éthique est un de ces moyens insignes, ce service réellement citoyen, vraiment politique, celui qui ne peut en aucun cas se faire voler l’éthique de ses prétentions ni se voir destituer au nom de je ne sais quelles spécialisations techniques prétendant savoir, en dernier et comme il est coutume en premier ressort, ce qui est bon pour le citoyen. De plus, outre sa mission d’éducation continuée à la citoyenneté et à la philosophie, la conciliation éthique répond de façon la plus concrète qui soit à l’assurance du maintien de l’égalité des chances et à la lutte contre la pauvreté, les deux étant indissociablement rencontrés dans la gestion sur le terrain des conflits. Les enjeux sont donc considérables à un moment de l’histoire de nos sociétés où il est grand temps de penser à refonder en profondeur et la philosophie et le politique, avec l’éthique qui ne peut pas ne pas les soutenir au cœur d’eux-mêmes dans un sens du social enfin politique et citoyen.