L’art d’aimer sa vie avec sagesse

De la méthode ogkorythme en consultation philosophique

 Si la vie nous est donnée, comme c’est évidemment le cas pour chacun d’entre nous, elle nous force à vivre, nous entraîne à la vivre pour en faire une vie, et même ma vie, sa vie à soi. La vie est une force justement vitale, une sorte de poussée affective archaïque.

Faut-il alors aimer sa vie ? Oui, en prendre soin, comme l’indique précisément l’étymologie de mot thérapie, therapein, un soin de soi, des soins pour soi-même. Soins qui confinent au souci de soi (Foucault) pour arriver à aimer sa vie comme la chose la plus précieuse au monde, justement parce qu’elle nous est offerte comme un don, d’où qu’il vienne. On ne se débarrasse pas d’un cadeau, même si nous ne le déballons qu’au fur et à mesure de notre vie et que, c’est le moins que l’on puisse dire, des couches superposées et entremêlées de papier dit cadeau lui aussi s’offrent à nos efforts. D’ailleurs, jamais nous n’arrivons à complètement l’ouvrir, ce présent, de telle sorte que le temps passe, le passé se déconstruit en même temps que le futur s’édifie, et nous finissons par croire que ce n’était pas un cadeau. Et pourtant !

La vie peut devenir un art, l’art d’aimer sa vie, si et seulement si nous comprenons que le don de la vie est synonyme de vie à faire, à créer, à inventer. Une vie qui peut nous donner un style à chacun, un style de vie, une façon toute singulière d’être nous-même, avec ce petit quelque chose qui nous caractériserait, un je ne sais quoi ou presque rien (Jankélévitch) qui nous ferait unique. Cela parce que nous nous plairions à fabriquer notre vie de telle manière qu’elle soit particulièrement inimitable comme peuvent l’être une œuvre d’art, un morceau de musique ou un tableau, un bout de poème ou une chanson. Le cadeau était donc une feuille blanche ou une toile vierge, une partition vide, un espace-temps à tisser.

Cerise sur le gâteau, c’est alors avec philosophie que l’art d’aimer sa vie peut se conjuguer en se métamorphosant en l’art d’aimer sa vie avec sagesse. Programme bien audacieux mais tellement passionnant que, dès lors, la vie vaut vraiment la peine, non d’être seulement vécue, comme on le pense habituellement, mais comme passion de la faire, comme on dit faire sa vie, et cela est un art, l’art de l’aimer avec cette sagesse qui lui donne une saveur toute singulière, un mélange de savoir et de goût que seule la mort empêche de poursuivre. Mais ce n’est pas grave car ce n’est pas parce que nous vivons que nous mourons mais bien plus profondément, si nous y réfléchissons, le contraire : c’est parce que nous mourons que nous vivons. La mort devient par là la condition cachée de la vie. C’est une chance à saisir.

Philosophie, art, amour, désir, thérapie et vie se donnent ainsi rendez-vous lorsque le praticien philosophe vous reçoit chez lui, à moins que ce ne soit vous qui le receviez chez vous, comme cela se fait du reste dans la pratique de la consultation philosophique que je donne avec force et détermination. Chez moi ou chez vous, pas dans un cabinet, nous nous écoutons dire et raconter la vie, notre vie, nos vies ensemble en dialogue afin de voir plus clair sur le sens à donner, à bâtir, à cette force du vivre pour en faire avec amour un art de sagesse. C’est ce que l’on appelle ‘exister’. Il s’agit dès lors d’éclairer l’existence, comme le suggère fort joliment Eugénie Vegleris[1] en s’inspirant de Jaspers, pour que la vie s’y déploie avec bonheur. Voilà le but et la finalité de la consultation philosophique : faire de son existence un acte artiste d’amour vital et sage, un éclairement.

En somme, c’est toute l’ambition, faire résonner une petite phrase en toute simplicité : l’art d’aimer sa vie avec sagesse. Et c’est la consultation philosophique qui aide à y arriver. Le tout avec une méthode, qui s’appelle ogkorythme, que j’ai développée depuis trente années, à la fois par ma désormais longue expérience de vie, personnelle et professionnelle, et par la recherche, notamment dans une thèse de doctorat et un livre qui en est le fruit[2]. Méthode ogkorythme que je pratique dans ma consultation et qui s’inscrit au cœur même de la pratique de la consultation philosophique telle qu’elle a été mise en valeur depuis les années 80 jusqu’ à aujourd’hui. Ogkorythme : rythme comme mouvement du vivre, temps de la vie se faisant art d’aimer avec sagesse, et espace qui se dit en grec – la Grèce qui a été le berceau de la philosophie, précisément en Ionie – ogkos, comme lieu de la vie devenant spacieux et ouvert. Ogkorythme, art ultime de soi. Les deux associés donc, confondus, rythme et ogkos, mènent à considérer notre vie, la vie, comme un espace-temps à inventer dans un mouvement tout en douceur et en profondeur. En un mot ogkorythme, ogkorythme de la vie, de ma vie, de nos vies ; bref, du vivre humain fait art d’aimer avec sagesse la vie, mais avec méthode qui est désir de sagesse : philo-sophie (philos, philein : ‘aimer’ et sophos, sophia : ‘sage’‘sse’). Ma définition de la philosophie est par conséquent celle-ci : l’art d’aimer sa vie avec sagesse. Ma consultation philosophique, ogkorythme, lui colle à la peau : une manière bienveillante et constructive de pratiquer cet art indispensable à la vie humaine. Du moins, si nous voulons être dignes de ce désir de quiétude qu’est à tout le moins cet art de vivre notre vie, la vie.

 

 

[1] Eugénie Vegleris, La consultation philosophique L’art d’éclairer l’existence, Paris, Eyrolles, 2010, 350 p.

[2] Voir notre ouvrage : Phénoménologie de l’espace-temps chez Marc Richir, Grenoble, Jérôme Millon, 2013, 387 p. Marc Richir (1943-2015) dont l’œuvre tout entière constitue, à nos yeux, les fondations philosophiques des bases de la méthode ‘ogkorythme’ que nous avons thématisée et que nous pratiquons dans notre consultation philosophique. Son approche de la vie, du sens, du soi et de l’existence s’origine dans une phénoménologie refondée et refondue qui permet et libère une pratique philosophique de la parole se faisant, écoute et dialogue réinventés à mesure que le sens lui-même en mouvement se décline. Le monde entier est par là reconsidéré comme phénomènes au sein desquels nous apparaissons nous-mêmes comme phénomènes selon une liberté de nous faire par une mobilité sans concept.