Texte publié dans les Annales de Phénoménologie, numéro 14, 2015, pp. 195-204.

Paradoxalement, toute l’ambition de la phénoménologie n’est peut-être pas tant de retourner aux choses elles-mêmes, comme le demandait Husserl, que d’aller à la Sache selbst, à la chose même – et non pour en revenir en y retournant – comme on peut aller à l’aventure, partir sans savoir ce qu’il en est exactement de ce dont il s’agit. Y aller, donc. Ou plutôt aller, comme la mer allée avec le soleil rimbaldien plusieurs fois cité par Richir, à même la chose. Et donc, bien davantage à seulement aller, il s’agirait d’aller à même la chose en déployant sa phénoménalité qui, par cette approche, laisse la chose au profit du phénomène en quelque sorte alors phénomène allé. Ce mouvement de frottement ou de frôlement à même le phénomène lui-même, délaissant la chose et le corps au profit justement de ‘ce qui sans être’ les pulse et les pousse, les contracte et les décontracte tout en les mettant en contact, comme le soi et le sens, nécessite une attention toute particulière. Un tact singulier. Une touche et un toucher d’esprit inédit. Comme une note qui dénoterait un do ou un la inouï. A cette fin et comme le suggère Richir à maintes reprises, faire d’emblée le saut du tigre, en plongeant, avec toute l’agilité requise en pareil exercice, dans l’indéterminité de la Sache phénoménologique, est la méthode que nous préconisons dans cette étude, afin de déployer ce que nous nommons cont(r)actibilité, pour dire cette pulsation et ce toucher, en un mot cette pulsativité pulsatile et cette caresse extrêmement insaisissable, transitionnelle, furtive et néanmoins agissante en régime phénoménologique. Car y aller ou aller, en sautant ainsi, demande une agilité, une sorte de dextérité et une vélocité d’un type particulier qui, à même le geste phénoménologisant du phénoménologue lui aussi cont(r)actile, tout vibratile, portent à même une vivacité incroyablement subtile, en cela foncièrement phénoménologique. Vivacité qui va, allée simple en contact mais tout en contre-acte. Nous allons ainsi.

Mais, cette motilité vivante et vivace dont nous voudrions nous approcher est telle, et le chemin n’étant ni tracé ni balisé, que l’exercice semble particulièrement difficile, voire de l’ordre de l’inimaginable mais pas impossible pour autant. Et pourtant, rien de tel que ce saut si nous voulons approcher et dire quelque chose de la mobilité phénoménologique insigne qui anime de ses mouvements le champ des questions et des problèmes soulevés dans l’architectonique. Néanmoins, comme il s’agit d’un saut dans l’inconnu et l’hyperbole, nous devons être extrêmement attentif, constamment sur nos gardes, afin de ne pas nous fourvoyer et nous illusionner par ce qui ne manque pas de le faire tant nous sommes pris par nos habitudes de pensées si souvent sclérosées et par des concepts philosophiques tant de fois rabâchés qui ne cessent de nous habiter, comme par exemple ceux de causalité ou de continuité. Concepts qui nous permettent malgré tout, et heureusement, de penser, mais qui nous empêchent aussi, tout d’abord et le plus souvent, d’ouvrir d’autres manières de faire de la philosophie, et en particulier de la phénoménologie. C’est tout le paradoxe de nos efforts – tissés de vigilance et de flair, d’esprit et de sens phénoménologiques tout à la fois – pour ne pas manquer la chose ‘elle-même’, à même la Sache, qui vibre, bouge, tremble et ne cesse de fuir et de revenir autrement. Ce qui semble pourtant être le cas, sans même que nous nous en apercevions, lorsque cette sorte de chute dans la fixité s’inscrit sournoisement dans nos pas, à même nos propres tentatives d’y échapper, en inhibant le passage vers le plus large et ce que nous subodorons s’avérer être l’exercice le plus difficile : vivre, en définitive et pour ainsi dire, « la “vie’’ de l’éternité », « “plus forte’’ que la mort » (1), – telle que Richir l’a pensée avec force et finesse – dans son agilité pure et, objet de nos travaux présents, sa cont(r)actibilité. Nous invitons le lecteur à faire ce saut en cette mouvance, à y assister et à l’assister comme se plaît également à le dire Richir pour l’ ‘accouchement’ du sens. Qu’est-ce à dire au juste ?

Pour cela, analysons ce saut du tigre au vol, pour ainsi dire en vol. Ce saut ne consiste pas, par exemple pour un soi, à passer d’un lieu à un point de rencontre, ni d’une place à un autre endroit. Il ne relève donc pas d’un déplacement physique d’un corps mobile sur une trajectoire mesurable ou déterminable. N’est signifiée aucunement ainsi une translation dont les coordonnées permettraient de situer quelque part ‘ce’ qui va sauter, ‘ce’ qui est en train de sauter et ‘ce’ même qui a terminé de réaliser le dit saut. Ce qui veut dire qu’il n’y a ni un espace ni un temps qui positionnent les éléments de la situation globale du saut : le sauteur, le saut, les lieux de départ et d’arrivée, l’espace parcouru et le temps effectué. On pourrait ajouter l’envol, le bond, l’accélération, la vitesse, la décélération et l’atterrissage, la courbe. Comme s’il y avait un espace et un temps du saut, précédé par une course, suivi par un vol, une retombée et ensuite un arrêt sur une position. Ce qui voudrait aussi dire que l’on a sauté au-dessus de quelque chose de reconnaissable, fût-il abyssal et vertigineux. Rien de tout cela n’est à l’œuvre pour le saut du tigre, le saut phénoménologique à même le soi, à même le phénomène. En effet, s’il y a saut pour un soi, qui par là se constitue tel également, c’est d’un saut qui allie de concert, par le ‘moment’ du sublime – justement cont(r)actile car contraction systolique qui met en contact le soi avec soi pour l’aventure diastolique tout en décontraction du sens –, contraction et décontraction, comme une sorte de pulsion à sauter sans que le saut ni ne se réalise ni ne disparaisse dans le néant. Et cela par la coalescence et la contemporanéité de la pulsation contractante et décontractante qui crée une mobilité en quelque manière sur place mais pourtant sans place, et pour ainsi dire ‘sautante’ et seulement virtuelle – en contre-acte ni actuel ni possible –, mais sans saut réel, physique ou corporel, imaginaire ou idéal, intuitif ou intellectuel. En revanche, la dynamique cont(r)actibilisante est l’attestation du saut phénoménologique. Sa garde, ou sa veille, est sa garantie de ne pas céder ni se fixer et de ne pas retomber ni se cristalliser même intellectuellement ou intuitivement, et on l’aura compris, physiquement, corporellement, imaginairement, ou encore idéalement.

Le tout est de parvenir à mieux comprendre qu’une contraction ne nécessite pas de la matière qui se contracte et se décontracte, et certainement pas, par exemple, un Körper fait d’organes, de viscères et de cellules. Ce qui veut dire que le mouvement cont(r)actibilisant – à la fois contactibilisant et contractibilisant – est pur d’intérieur comme d’extérieur. A proprement parler et au niveau de l’espace, il n’a ni intérieur ni extérieur, ni dedans ni dehors, ni devant ni derrière, ni point ni ligne. Sa non spatialité est cruciale car intrinsèque. Même si, et c’est également toute la difficulté, cette absence d’espace se met à bouger, à vibrer ; bref, à se mouvoir, à mettre en contact, à (se) contracter et à (se) décontracter, tel le Leib et sa Leiblichkeit, et sa Phantasieleiblichkeit. De même, pour le temps, la cont(r)actibilité ne se passe sur une ligne de temps ou n’est en aucune manière sous la coupe d’une temporalité quelconque car il n’y a, de la pulsativité à l’œuvre, ni passé ni futur, ni avant ni après, ni instant ni ponctualité. Ceci est fort difficile à saisir car cette sorte de négation du temps en vient à clignoter, à revirer et donc aussi à se pulser en mouvement. Pourtant, c’est l’enjeu essentiel de ce en quoi la phénoménologie puisse ouvrir un champ de recherche qui laisse une vraie place aux questions les plus fondamentales de la philosophie comme, par exemple et entre autres, la transcendance, l’affectivité, le soi, le sens et la pensée. Interrogations qui toutes ne sont en aucune manière redevables, in fine et au fond de leur dynamique proprement phénoménologique, à de l’être ou à l’être, à du néant ou à de l’ontique. Bien davantage encore, aucune sorte d’image ou de représentation, de figure ou de graphe et autres dessins ou nœuds, ne parviennent à traiter de ce qui là se joue foncièrement. L’imagination est impuissante, tout comme l’eidétique ou l’intentionnalité. Même impossibilité structurelle pour le registre doxique ou celui de l’idéal et de l’idéalité. Qui plus est, ce n’est pas plus au niveau d’entités métaphysiques comme celles d’un ou des dieux ou autres instances transcendantes de type théologique que nous y arriverons mieux. Rien de spirituel ou d’intellectuel, comme du reste aucune dimension corporelle ou matérielle, ne vient davantage au secours de cette cont(r)actibilité. L’espace et le temps ne sont donc pas seuls à être hors du champ ici convoqué et soumis à notre perspicacité philosophique.

Il faut donc, pour cela, nous glisser, à nouveaux frais, dans le cadre des critères ogkorythmiques que nous avons à la fois, selon une dynamique constructive, exhumés et créés, trouvés et fabriqués, mis au jour et inventés, découverts et construits, lors de notre analyse de l’œuvre de Richir (2). Nous voudrions approfondir, ici, ceux de trans(pul)versatilité et d’ad-errance qui, rappelons-le brièvement, ont pour ambition, pour le premier, en tant qu’élément ogkorythmique fondamental de trans(pul)versatilité, de traduire tout en même temps la versatilité et la pulsatilité qui, par fluidité non physique, scintillation et embrasement, traversent les topoï architectoniques richiriens (dont l’affectivité, le schématisme et la transcendance absolue). Pour le second, en tant qu’élément ogkorythmique fondamental d’ad-errance, de traduire tout à la fois par capillarisation et par tensivité interfaciale non matérielle ni corporelle le contact en et par écart comme rien d’espace et de temps partout où ce contact joue. Considérons également que ces déclinaisons se déploient dans ce que nous avons baptisé un milieu flexuro-chorématique ogkorythmique, en mouvance espaciante et temporellisante, qui est constitué par du mouvement pur, immatériel, mouvement sans corps mobile ni trajectoire, mouvement contré par lui-même au fil d’un frottement qui se frotte lui-même au cœur d’un chôrismos par là radicalisé et fondé à nouveaux frais. Par exemple, la distorsion originaire est, et à ce titre, par ce milieu et par ces éléments ogkorythmiques trans(pul)versatile et ad-errant, animée d’une contractilité qui est le pouls du tissu conjonctif qui fait battre le dedans et le dehors et fait de ce battement une fluidité pulsatile et ad-errante justement non matérielle, non redevable à un quelconque rapport à de l’espace ni, du reste et de même, à du temps. Bien plutôt, il s’agit d’arriver à penser que du non spatio-temporel agite tant le chôrismos que les notions les mieux à même d’approcher en cela la phénoménalité, comme plus précisément la phénoménalisation des phénomènes comme rien que phénomènes et les multiples revirements et clignotements qui y vivent. Ce qui est le cas de la distorsion originaire ‘où’ le dedans et le dehors communiquent sans solution de continuité ‘sur’ une surface distordue. C’est à cette communication versatile, pulsatile, ad-errante et en contact toute spécifique, faite d’agilité pour ainsi dire ‘phantastique’, que cette étude touche par le traitement en exercice de la question de la cont(r)actibilité en tant que caractéristique singulière commune aux éléments ogkorythmiques fondamentaux de trans(pul)versatilité et d’ad-errance.

Il nous faut également, à cet effet, étudier la nécessité de l’arc ogkorythmique systo-diastolique, cont(r)actibilisant, affectivo-schématique. Par systole, l’hyper-condensation affective est animée d’une contraction et d’une décontraction en faisant entrer en contact le soi avec lui-même et en déployant par diastole la schématisation en langage. Expression insigne, s’il en est, de la concrétude inversée, et donc d’une métaphysique phénoménologique fondamentale, car ce qui est leiblich, ne l’est qu’à l’aune de ce milieu ogkorythmique, ce sans quoi – et sans pourtant ‘être’ redevable justement à de l’être, ou du néant du reste, de l’imaginaire ou de l’idéal, de l’intellectuel ou du spirituel et, a fortiori, à du corporel ou du matériel – le Leib serait Körper, la leiblichkeit körperlichkeit, la Phantasieleiblichkeit imagination. C’est à ce matériau sans matière, à cette immatérialité cependant leiblich, que la phénoménologie désormais a affaire comme le champ instable de l’instabilité de tout ce qui s’y meut, s’y contracte et s’y décontracte en entrant en contact.

 

Pour cela, examinons la cont(r)actilité au ‘moment’ du sublime, et ce ‘depuis’ la diastole affective ‘jusqu’à’ la systole schématique ‘en passant’ par la systole affective et la diastole schématique. Afin d’apprécier cette cont(r)actilité de la pulsation ogkorythmique dans l’arc systo-diastolique affectivo-schématique, il est nécessaire de procéder à l’épochè phénoménologique hyperbolique de l’espace et du temps, et donc de faire le saut du tigre. Etant entendu que pratiquer cette épochè et ce saut richiriens soit déjà la mise en œuvre d’une sorte de contraction dans le suspens, de contractilité dans la mise entre parenthèses phénoménologique car il ne suffit pas d’aller à l’hyperbole pour ne garder que le milieu dégagé, à savoir justement un mi-lieu transcendantal qui ignore toute forme de spatio-temporalité déterminée, faut-il encore revenir ou plus justement en revenir décontracté, après avoir contracté, réduit, suspendu de façon radicale. Nous parlons à ce sujet de contre-épochè post-hyperbolique, sans que ce ‘post’ ne signifie bien évidemment un après temporel ou spatial.

La cont(r)actilité vit au cœur de l’hyperbole.

Nous envisageons donc d’approfondir un des éléments ogkorythmiques fondamentaux mis au jour dans notre travail, celui de trans(pul)versatilité, par le traitement de la cont(r)actilité nécessaire aux topoï architectoniques et au chôrimos ‘dans’ lequel ils baignent. La cont(r)actilité étant la propriété que possèdent certains ‘concepts’ architectoniques de changer de ‘forme’, de se contracter et de se dé-contracter, et de se toucher de la sorte mais en contact en et par écart comme rien d’espace et de temps. Ce caractère cont(r)actile est aussi analysé dans le geste phénoménologisant lui-même dans la dynamique de découverte/invention, de trouvaille/construction dans la mise en ordre du champ phénoménologique. Nous développons ainsi ce qui devrait pouvoir servir à notre idée de diastole affective et de systole schématique qui nous semble impérative dans l’arc sublime tendu vers la transcendance absolue et sa ‘retombée’ en déclinaison en transcendance physico-cosmique. Richir pense ‘seulement’ en termes de systole affective et de diastole schématique, même si les deux autres, diastole affective et systole schématique, sont implicitement en fonction dans sa phénoménologie. Nous pensons, néanmoins, que la cont(r)actilité du systo-diastolique affectivo-schématique nécessite sa déclinaison et son affinement : l’hyper-condensation affective n’est possible, à nos yeux, que par une hyper-dilatation corrélative de l’excès de l’affectivité sur elle-même, par une diastole affective donc, celle-là même que l’hypsos pointe vers la transcendance absolue en fuite infinie, l’hybris tout aussi bien qui détache l’excès ‘dans’ la transcendance absolue extra-schématique. De même, à l’autre bout non spatial, la dé-contraction schématique dans le sens se faisant n’est elle-même possible que par une contractilité schématique qui justement est possible par la rémanence du moment propre au sublime dans la diastole ou la trace du sublime de la transcendance absolue dans le sens. Il y va de la pulsion même du sens, de la reconduction de sa question, par cette cont(r)actibilité ogkorythmique. Bien davantage encore, la diastole schématique l’est en quelque sorte au second degré par rapport à la diastole affective ‘originaire’ du sublime qui l’est au premier degré. Sa mémoire nécessaire. Et cette diastole sublime ne cesse de travailler la diastole schématique via la rémanence en cette dernière de la systole corrélative au sublime dans la systole désormais schématique mais également au second degré par rapport à la systole sublime du premier degré tout aussi bien.

Nous avons donc un site architectonique composé d’un chiasme ogkorythmique entre, d’une part au premier degré, la diastole et la systole affectives, et, d’autre part au second degré, la diastole et la systole schématiques.

Ceci nous paraît cohérent architectoniquement et permet d’affiner les mouvements de cette cont(r)actilité ogkorythmique qui les rend solidaires les uns des autres, c’est-à-dire ‘ad-errants’ selon cette autre déclinaison de l’élément ogkorythmique fondamental. Ainsi, une mobilité anime de façon croisée à la fois l’affectivité et le schématisme sous la transcendance absolue extra-schématique et, à la fois, l’interdépendance intime ou coalescence entre systole et diastole. Ce qui permet, en outre, de mieux comprendre leur contemporanéité et leur antécédence sans antécédence puisque ni l’une ni l’autre ne commence ni ne finit dans cette vacillation et cette pulsation cont(r)actiles. C’est, d’ailleurs, la raison pour laquelle la diastole (la diastole schématique) a toujours déjà commencé comme, du reste, corrélativement la systole (la systole affective ou sublime). Simplement, cette dernière n’est proprement concevable que si elle est travaillée par sa ‘propre’ diastole (affective) comme, semblablement, la diastole schématique n’est elle-même concevable que si elle est aussi travaillée par sa ‘propre’ systole (schématique).

L’affectivité a sa ‘propre’ diastole et le schématisme sa systole. Cette systole schématique l’est au second degré car elle est décalée d’un cran par rapport à la systole affective ou sublime. Tout comme la diastole schématique l’est également au second degré car décalée d’un cran par rapport à la diastole affective. Mais tout ceci est une analyse dé-composante car la coalescence coextensive et en double chiasme de la systole et de la diastole se passe ogkorythmiquement selon des déclinaisons qui empêchent toute antériorité ou postériorité entre elles, le tout dans un milieu flexuro-chorématique qui fait sa place à une mobilité flexible hors temps et hors espace mais justement en mouvement espaciant et temporellisant, celui-là même dont est fait l’élément ogkorythmique fondamental. Les degrés et les crans invoqués ici, comme en outre toutes les notions convoquées, doivent, à ce titre, subir une conversion phénoménologique qui en change radicalement le sens qu’ils peuvent revêtir dans ce que Fink appelle le monde naturel ou l’attitude naturelle.

De telle manière que, si, comme le souligne Richir à juste titre, l’infigurabilité et « l’infigurable de la phantasia ‘perceptive’ prend sens depuis la rémanence de la systole propre au ‘moment’ du sublime dans la diastole » (3) schématique, il est nécessaire de considérer que cette rémanence – considérée comme persistance de la systole, même ‘après’ la disparition de ce qui l’a provoquée – arrive au schématisme par quelque chose que la systole a déjà en diastole, à savoir sa propre diastole affective. Comme, inversement, il est nécessaire qu’une sorte de pro-manence – considérée comme anticipation de la diastole, même ‘avant’ l’apparition de ce qui la provoquera – arrive à l’affectivité par quelque chose que la diastole a déjà en systole, à savoir sa propre systole schématique.

Pour bien faire, en stricte phénoménologie, il faudrait nous empêcher d’imaginer, de (se) représenter, la systole originaire ou pure de l’affectivité. Car, elle ne succède pas à une diastole ni n’en précède une autre, l’inverse étant vrai également, la diastole ne succède pas non plus ni ne précède une systole. Bien différemment, la systole est toute en contraction, dans un mouvement qui ne s’origine pas dans une position moins contractée se dirigeant vers une autre position plus contractée. Ceci serait justement s’en référer à l’imagination qui, par un besoin incoercible de recourir au schéma visuel (ou autres du reste), place des points, des instants d’arrêt, des points de rebroussement ou des instants de passage, ‘là’ où il n’y en a précisément pas. Ce qui n’est donc pas le cas de l’hyper-densification systolique de l’affectivité qui, dite originaire ou pure, doit être pensée comme masse rythmique non spatiale et non temporelle néanmoins en mouvement, ce que nous avons nommé dans nos précédents travaux ‘ogkorythme’ ou, plus complètement, l’élément ogkorythmique fondamental dont l’irreprésentabilité constitue une part de sa définition. La pulsation systolique de ce rythme volumique (ou de cette masse rythmique) n’est pas rattachable à une quelconque métaphore, fût-elle cardiaque ou autres. D’ailleurs, rien ne distingue cette systole de la diastole, même si, toujours strictement, la décontraction diastolique affine la cont(r)actilité, en cela cont(r)actibilité, jusqu’à rendre compte de la détente inhérente à la tensivité systolique. On peut ainsi parler, dans le langage de Maldiney, de simultanéité de tensions contraires sans que l’on puisse assister à l’annulation des dites tensions. Plus justement dit, la tensivité contractante et décontractante systo-diastolique pulse de manière contemporaine le mouvement pur ‘où’ sont adoubés l’affectivité, le schématisme et la transcendance absolue. C’est la raison pour laquelle, également, la systole affective est tout en diastole de la transcendance, tout comme la diastole schématique est tout en systole propre à la rémanence du moment du sublime. Ce qui, en outre, explique l’infigurabilité des phantasiai-affections au cœur de la détente diastolique schématique de la systole affective ou sublime.

Toutes les difficultés sont rassemblées au moment où nous sommes pris par le retour de l’espace et du temps et de leurs coordonnées multiples. En effet, en stricte nano-métaphysique (4) phénoménologique, il est nécessaire de rester extrêmement vigilant et de contrer cet effet quasi-naturel qui nous propose par dessins et schémas, par graphes et nœuds en tous genres, par chronologie et par topologie fût-elle la plus sophistiquée qui soit, de représenter ce qui par ailleurs ne se représente pas, ni imaginairement ni idéalement, ni visuellement ni matériellement ni, du reste, intellectuellement ou intuitivement. Ni ontologie ni théologie ne permettent un accès. Aucune eidétique ni doxa non plus. Car la plasticité avec laquelle nous avons affaire est telle que rien de matériel, de physique ou de corporel, de spirituel ou d’intellectuel, de réel ou d’irréel, ne parvient à ‘approcher’ ce qui ‘là’ se joue. La mobilité des mouvements et leur élasticité rendent la cont(r)actibilité d’un autre ordre que celui dont nous avons l’habitude lorsque nous pensons et faisons du sens en  direction d’une contraction, d’une décontraction ou d’un contact. Comme si nous n’étions pas capables de nous débarrasser de notre imagination et de ses images afin d’appréhender une telle dynamique. Surtout, tout se passe comme si un besoin incoercible nous poussait à réintroduire – et on ne peut pas ne pas penser ici à l’action d’une sorte de malin génie, sur lequel Richir insiste avec force, qui emploie toute son industrie à nous tromper en nous illusionnant par la fixation de la dite (dé)contration en expansion ou en rétrécissement – abscisses et ordonnées, cardinalité et point de rebroussement,  pôles et limites, lignes et volumes, axes et pivots – ; bref, tout ce qui réinjecte des déterminations spatio-temporelles qui se révèlent impropres à penser quelque chose comme les séismes sans magnitude ou la magnitude sans séisme des mouvances redevables à de la cont(r)actibilité.

En pratiquant l’épochè phénoménologique hyperbolique et le saut du tigre, il ne nous reste que la mobilité pure de mouvements dont l’espace et le temps ont été pour ainsi dire prélevés. Nous proposons de pratiquer ‘alors’ et ‘en même temps’ une sorte de contre-mesure nano-métaphysique dans une contre-épochè post-hyperbolique susceptible de faire vivre la dite (dé)cont(r)actibilité en gardant le bénéfice et les effets du suspens hyperbolique. Ce n’est que par là que nous pouvons envisager, en quelque sorte ‘positivement’, – si le mot n’était pas indexé négativement –, les pulsations rythmiques et volumiques – désormais non spatiales et non temporelles – des contractilités, et ainsi avancer dans le traitement de la question de la cont(r)actibilité que nous qualifions d’ogkorythmique afin de désigner en un mot ce dont il s’agit. A savoir les déclinaisons, justement dites ogkorythmiques, de ces mouvances contractiles dans leur bougé et vibration plastique sans matière, ou encore leur métamorphose sans autre forme que leur pulsatilité tout en scintillation et embrasement. Versatilité et continuité sans trajectoire se donnant rendez-vous tout aussi bien ici dans le but de toucher ce nœud, cont(r)actibilisant, sans corde ni ficelle fait de trous sans bords ni fond.

Il nous faut également insister sur le caractère de capacité de la cont(r)actibilité. Ce qui veut dire, profondément, sa virtualité au sens richirien du terme – que nous baptisons contre-acte – ayant des effets sans pour autant avoir lieu ou avoir eu lieu en son temps ou maintenant. Virtualité que nous mettons en résonnance avec la notion maldineyenne de transpassibilité comme capacité d’ouvrir à l’ouverture, mais également avec le ‘concept’ d’implexe de Paul Valéry (5).

 

Notes :

(1)  Marc Richir, Variations sur le sublime et le soi, Grenoble, Jérôme Millon, coll. Krisis, 2010, p. 78.

(2) Voir notre ouvrage, et l’œuvre de Richir que nous supposons également ‘connue’ pour cette contribution, intitulé Phénoménologie de l’espace-temps chez Marc Richir, Grenoble, Jérôme Millon, coll. Krisis, 2013, 387 p. Et, en particulier, pour une synthèse de la déclinaison des éléments ogkorythmiques fondamentaux, voir les pages 44 à 46 de notre introduction. Rappelons seulement qu’ogkorythme pointe vers une masse (ogkos) rythmique non spatiale et non temporelle néanmoins en mouvement susceptible de pulser et donc de constituer le nœud problématique le plus fondamental des notions que la phénoménologie nouvellement comprise pense et développe.

(3) Marc Richir, « Langage, poésie, musique », Annales de phénoménologie 8, Amiens, 2009, p. 77.

(4) Nano-métaphysique au sens d’une métaphysique proprement phénoménologique et fondamentale, nécessaire au déploiement d’une phénoménologie, mais qui ne relève plus en quelque manière d’une macro-métaphysique traditionnelle manipulant des objets transcendants, des entités de type divin ou même matériel.

(5) Pour une analyse de ce ‘concept’ chez Paul Valéry, voir notre contribution : « Phénoménologie de l’implexe valéryen », Annales de phénoménologie 12, Amiens, 2013, pp. 59-73.