« Oser la philosophie qui éclaire l’existence » Eugénie Vegleris

La consultation philosophique est une démarche, une méthode plus précisément – non une technique à exécuter – qui permet de mieux se connaître en changeant de perspective, de s’écouter et de faire le point. Cette méthode qui permet d’apprendre à repenser sa vie, à éclairer son existence, à réfléchir pour comprendre et à gagner en lucidité, est une autre manière de faire de la philosophie en ouvrant la liberté de penser tout en faisant un bilan de vie. La consultation philosophique est, autrement dit, une façon de retrouver du sens. Elle ouvre ainsi un nouvel espace-temps de soi et à soi, individuellement ou à plusieurs, un soin et un souci de soi appropriés. Trouver un espace ouvert et un temps de la lenteur est ainsi, en même temps, le lieu et le rythme du cabinet du philosophe.

Il s’agit concrètement d’un dialogue, d’une communication orale, entre deux personnes : le consultant-philosophe (philoconsultant, philosophe praticien ou philothérapeute) et la personne ou un groupe – institution publique, association ou entreprise privée – qui le sollicitent pour penser un sujet qui revêt de l’importance à leurs yeux, avec la finalité de l’éclaircir en accédant par cette réflexion à une plus grande intelligibilité.

Dans la pratique de la consultation philosophique, la philosophie renoue avec sa tradition orale par l’écoute et le dialogue, tout en s’appropriant l’héritage culturel en étant aussi convaincue que « la vérité commence à deux » (Nietzsche cité par Jaspers).

Fondée pratiquement en Allemagne par Gerd Achenbach en 1981, ne reposant pas sur une doctrine liée à un auteur, ni sur une théorie fondatrice, mais seulement sur la pratique de la parole, de la réflexion et du concept, la pratique concrète de la consultation philosophique, comme le souligne Eugénie Vegleris (consultante philosophe en France depuis 1993), « est libre de toute idéologie préexistante et étrangère à la volonté d’imposer une voie unique »1.

La consultation philosophique s’adresse à des individus ou groupes d’individus rencontrant des problèmes existentiels dans leur vie quotidienne, personnelle ou professionnelle. Le but de la consultation philosophique est d’aider la personne à vivre mieux. La consultation philosophique fait partie intégrante des ‘nouvelles pratiques de la philosophie’, reconnue et inscrite en ces termes à l’UNESCO2 depuis 2006. La consultation philosophique est pratiquée tant dans la plupart des pays européens (Allemagne, Autriche, France, Pays-Bas, Italie, Suisse et Norvège), dont la Belgique, qu’aux Etats-Unis mais aussi en Israël. En Italie, un master en consulenza filosofica est organisé à l’Université de Venise.

L’exercice de penser, de la pensée, et la pratique de la liberté – pensée et liberté souvent anesthésiées par la ‘modernité’ – sont les principes fondamentaux de la consultation philosophique. Il ne s’agit donc pas d’une thérapie proprement dite mais d’un ‘soin’ – à entendre dans l’acception grecque du mot ‘thérapie’, therapeuein, prendre soin – d’une attention à soi et de soi, d’un souci de soi, d’un nouveau regard porté sur nos capacités de penser et nos possibilités de liberté plutôt que sur nos incapacités à réfléchir et nos inhibitions à vivre.

Le philosophe praticien considère, par exemple, que la dépression commune, le burn-out, avec toutes ses variations depuis la fatigue, le surmenage ou l’épuisement professionnel jusqu’à la crise dépressive invalidante, n’a pas à être nécessairement et unilatéralement traitée comme un état de maladie, une détresse ou un trouble du psychisme. Mais, plus justement, comme une manière maladroite et insuffisamment réfléchie de vivre la crise existentielle – attitude existentielle normale et saine pour un humain, fondée sur la santé – sous la forme d’une angoisse et d’une déperdition de sens à donner à la vie, à sa vie. Une clarification et une conceptualisation adéquates transforment cette source de mal-être d’un patient en bien-être d’un acteur et auteur de sa propre vie, d’un sujet pensant, dans une compréhension qui concilie dépression et bonne santé psychique, où la liberté de penser et de faire du sens s’enracine dans l’inquiétude humaine féconde et équilibrante, source de joie et d’un plaisir à penser3. C’est la santé de l’esprit – cet « autre côté du corps » comme l’écrit Merleau-Ponty – que la philosophie appelle et dont elle s’occupe dans la consultation philosophique.

Nous avons les moyens de nous en sortir, nous ne sommes pas fondamentalement malades, la maladie est exceptionnelle, la ‘grande santé’ (Nietzsche) est notre plus grande chance pour vivre. S’élever sain est le meilleur remède à tomber malade, et la philosophie le moyen le plus sûr de cette élévation. Les médications et les cures de toutes natures ne sont qu’exceptionnellement ou ponctuellement nécessaires, seulement réservées aux cas urgents ou limites, à condition que l’esprit ou la pensée, vive, travaille, se nourrisse et partage ses potentialités à vrai dire infinies. Et cela, la pratique de la philosophie et sa consultation que le philosophe praticien fait vivre y participent.

Le philosophe praticien est un généraliste de l’esprit. Il est un accoucheur qui entraîne la personne à inventer et à trouver des solutions par elle-même. Le consultant philosophe se met au service de la personne qui le consulte sans chercher à faire partager un mode de vie particulier. C’est donc une démarche positive, optimiste, constructive et éclairante qu’il propose. Pour ce faire, il lit les grands philosophes, il se les approprie – en excluant toute adhésion à une école philosophique ou l’obéissance à un dogme religieux4 – et les communique aux individus ou groupes qui le consultent en amenant, par une connaissance précise et fine du langage des mots, à clarifier les définitions et les termes souvent mal compris et utilisés trop souvent à mauvais escient, cause de malentendus et de souffrances. Il s’agit donc d’une méthode de libre déploiement de l’esprit, non d’une technique dont il faudrait apprendre les pas par coeur.

C’est à juste titre qu’Eugénie Vegleris parle du consultant philosophe comme étant doté d’un « regard étonné », et qui « ne se lasse pas de soupçonner l’évidence, de problématiser le donné », tout en étant « mené par le désir de comprendre pour mieux agir et vivre ». Ainsi, son « regard cherche avant tout et partout le sens »5. Elle ajoute : « le consultant philosophe ne forme pas, mais éveille et développe chez ses interlocuteurs l’unique outil capable de manier habilement tous les autres : l’esprit qui comprend »6.

Le consultant philosophe ne contrôle ni ne supervise, il n’exerce pas comme un expert une autorité sur le travail effectué par les autres. En cela, son travail est bien différent de celui des consultants spécialisés ou des ‘coaches’ en développement personnel, bien nécessaires par ailleurs afin de solutionner des problèmes techniques, commerciaux ou, par exemple, de gestion.

L’action du philosophe praticien est également à distinguer de celle des psychologues, psychanalystes (approches freudienne, lacanienne ou autres) ou psychothérapeutes (approches systémique, transactionnelle, énergétique, P.N.L., ou autres). En effet – c’est la fonction de la philosophie et la position du praticien philosophe – son attitude est tout autre, même si elle peut être complémentaire à d’autres interventions. Le consultant philosophe favorise la confrontation libre des points de vue et non l’investigation psychique d’un sujet supposé presque inévitablement souffrant, parle de la culture, dit ce qu’il ressent et pense, oriente les regards sur l’activité, son contexte, ses destinataires et les actions mises en oeuvre ; enfin, il clarifie, conceptualise les expériences et les situations pour les amener à une juste compréhension qui libère et permet aux individus eux-mêmes, en cela sujets pensants, auteurs et acteurs par eux-mêmes, de construire et d’inventer des pistes nouvelles. Comme le souligne également Eugénie Vegleris, « ce regard permet d’inscrire le particulier dans l’environnement plus large qui lui confère un sens »7.

 


1 Eugénie Vegleris, La consultation philosophique – L’art d’éclairer l’existence, Paris, Eyrolles, Paris, 2010, p. 323. Voir aussi le site internet www.eugenie-vegleris.com

2 Voir les Colloques sur les nouvelles pratiques philosophiques organisés par l’UNESCO depuis 2006. Note de Eugénie Vegleris, ibid., p. 128.

3 Voir Jean-Eudes Arnoux, Sur le divan d’un philosophe – La consultation philosophique, Paris, Favre, 2013, p. 61 : « Considérer la dépression comme une maladie, l’enfermer dans une nature psychologique empêche de l’appréhender dans sa dimension existentielle ». Voir également le site internet www.philoconsultant.ch

4 Eugénie Végleris, Ibid, p. 187.

5 Ibid, p. 98.

6 Ibid, p. 124.

7 Ibid, p. 149.